lundi 23 octobre 2017

2017

Une tasse de café à la main, Patrick retourne en claudiquant s’asseoir à son bureau. Tandis que son ordinateur charge ses mises à jour, le vieil homme rallume un cigarillo abonné hier soir dans le cendrier. C'est l'heure de sa veille informationnelle. Il consulte ses mails, lit les derniers commentaires de ses différents blogs, survole les nouvelles notifications des sites inscrits dans ses favoris.

C'est encore le dossier sur la Syrie qui occupe la plus grande partie de son activité. Quelques internautes lui donnent toujours du fil à retordre en postant sur sa page facebook des récits de réfugiers ou des liens vers Amnesty International, le tout accompagné d'insultes variées. Rien qui ne puisse le décourager, sa technique étant de noyer ces posts sous une pluie de commentaires longs comme le bras, mais cela va lui prendre du temps. Puis Patrick consulte le nombre de vues sur ses sites et le nombre de partages et de retweet de ses propos et le sourire lui revient.

Quel chemin parcouru depuis tout ce temps ! Sa quête d'un auditoire avait été longue. Il repense à ses premières années de militantisme. Sa main se porte inconsciemment sur son oreille déchirée lors d'une raclée reçue au début des années cinquante par des brutes qui se prétendaient communistes. Puis son regard s'arrête sur sa canne posée près de lui. Elle lui est nécessaire depuis que des gauchistes lui ont cassé un genou après 68. Ce sont eux les vrais nazis, d'ailleurs 80% des collabos venaient de la gauche. De nombreux sites ont d'ailleurs repris sa théorie, élaborée il y a quelques années par vengeance. Beau succès.

Mais le succès n'avait pas toujours été là. Après avoir été excommunié de tous les réseaux de gauche, il avait tenté sa chance à l'extrême-droite. Les militants de ce bord écoutaient avec intérêt ses théories. Cependant il n'était pas de taille dans les conflits d'égo avec les chefs de ces groupuscules. Les années 80 avaient été une traversée du désert pour lui. Il ne trouvait d'auditoire qu'auprès de tristes sectes millénaristes ou d'associations d'ufologues. Tous les médias étaient tenus par les francs-maçons ou les banquiers de la City. Il en était venu à imprimer lui-même ses tracts et journaux qu'il allait distribuer devant les sorties du métro, partageant l'espace avec les témoins de Jéhovah, les seuls qui toléraient sa présence. Les passants l'ignoraient, se moquaient de lui ou exprimaient une commisération humiliante. Patrick avait fait une tentative de suicide en 1993.

Puis internet était apparu. Patrick y avait d'abord vu l'intérêt de pouvoir s'exprimer sans être en face d'interlocuteurs. Il s'était pourtant vite rendu compte de la formidable caisse de résonance de ce nouvel outil. L'espace était alors vierge, libre d'être colonisé par les premiers venus et Patrick était de ceux-là. Il pouvait enfin s'épanouir. Il n'informait pas, il créait l'information. Son plus grand plaisir était de prendre des faits, de les déformer, les passer à travers divers prismes, les raccourcis ou les associer avec d'autres événements indépendants. Ses créations monstrueuses prenaient alors vie car elles étaient lues, partagées, commentées, complétées.

De Milosevic à Bachar-el-Assad, il reliait tous les combats contre l'Empire. Il dressait des passerelles plus que branlantes entre Sankara et Kabila, Che Guevarra et Pol Pot, Cuba et l'Iran...

Il se délectait alors de voir les militants s'écharper à propos de ses thèses. A travers des avatars neutres, il observait les divisions, le temps perdu par les uns et les autres à vérifier ses assertions, les débats se briser dans la cacophonie. Il voyait les plus naïfs sombrer dans une paranoïa délirante qui l'impressionnait lui-même.

Bien avant cet age d'or, des enfoirés comme Antoine, Jacques, Nico, l'Increvable, avaient disparu corps et âmes dans les naufrages successifs de leurs courants politiques. Patrick lui, se sentait immortel.

D'humeur enjouée, il ouvrit une nouvelle page de publication : « ce n'est pas parce que le président Poutine dit qu'il pleut, qu'il ne pleut pas... »


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Histoires amusante d'un personnage qui, pour être fictif, n'en est pas moins très vraisemblable.

Toutefois, quelle leçon en tirer ?

Courant Anarcho-Droitier a dit…

Comment les rendre inoffensifs ? Une éducation politique aux médias et à l'information est nécessaire. On a des idées en réserve qui seront bientôt publiées.
Merci pour le commentaire!