mardi 11 novembre 2014

Dystopie anarcho-droitière 2/2

Je me retournais et le visage que je reconnu me tira de mes pensées mortifères :

- Nom de dieu de nom de dieu, Léandre ? Si on m'avait dit un jour que je serai content de voir ta gueule de sale gauchiste !
- Et moi donc vieille crapule droitière !

Nous nous étreignîmes. Léandre reprit :

- On commençait à désespérer de ton cas. On se disait que tu avait été tué au fond d'un commissariat.
- Qui ça ''on'' ?
- Ma foi, tous les copains... tous les camarades de l'orga de la région sont ici.
- Sans blague ? Mais on est où exactement ? L'endroit me dit quelque chose.
- Évidement, rappelle-toi, ici avant c'était une ZAD. Les autorités se sont contentées de faire quelques aménagements et de poser une clôture tout autour.
- Et on est combien en tout ici ?
- Pour ça tu risques plus de te sentir seul. C'est une vraie petite ville, on est plus de six mille à être « en retenue administrative »... y a pas mal de fans de ton blog parmi eux. Viens je vais te faire visiter.

Nous traversâmes le camp. Léandre m'expliquait les différentes zones :

- A l'arrivée on reçoit une affectation aléatoire dans un baraquement mais on s'en fout. Tout le monde s'est regroupé par affinité politique. Ici ce sont les syndicalistes, là-bas ce sont les militants de l'ancien PS...on l'appelle le quartier des cocus. Nous, on est installés derrière la clinique...
- Il y a une clinique ici ?
- Bien sûr, on y trouve Filoche et Krivine qui refont le monde, mais c'est surtout la zone officieuse des militants PCF....
- Ils sont vraiment increvables tous ceux-là ! Et le grand bâtiment là-bas c'est quoi ?
- C'est la médiathèque.

Je m'arrêtais sur place, incrédule.

- Tu déconnes ?
- Non, on a un cinéma, un amphithéâtre, une salle de concert et une bibliothèque...
- Et qu'est-ce qu'on y trouve comme bouquins ? La propagande du NPO ou les chercheurs de « gauche » autorisés par le pouvoir : Bricmont, Collon, Chouard ?
- Pas du tout. On a récupéré tous les bouquins subversifs retirés des bibliothèques publiques et parfois même on a récupéré leurs auteurs... tu pourras avoir des dédicaces. Ce soir y a une conférence par l'ancien directeur du Diplo : « 20 ans de pouvoir du Tea Party aux États-Unis, bilan et perspective ».

J'allais de surprise en surprise. Un sentiment d'euphorie difficilement contrôlable me gagnait en même temps qu'une forte culpabilité. Je n'aurai pas dû être heureux de toutes ces nouvelles informations, nous étions des vaincus, nous étions enfermés et il n'y avait aucun espoir à court ou moyen terme pour que la situation du pays évolue en notre faveur. Une affiche punaisée non loin de moi attira mon attention. Léandre, qui avait suivi mon regard, me demanda :

- Tu te souviens de Gros Bébert ?
- Le chanteur des Ramoneurs de Cornemuses? Il est là lui aussi ?
- Mieux que ça ! Il a retrouvé le batteur et le bassiste des Flash. Ils ont formé un nouveau groupe de rock. Ils jouent samedi prochain.

Je ne pus alors m'empêcher de lever les bras au ciel : 

- Putain ! Les Ramoneurs et Les Flash ensemble ! La combinaison d'enfer ! C'est énorme ! 
- Tu vois, on a pas tout perdu. C'est plutôt tranquille ici. Les gardiens ne rentrent jamais dans le camp. On s'organise comme on veut. Le seul deal c'est de ne pas tenter de sortir ni de communiquer avec l'extérieur... mais on a un intranet.
- C'est sûr c'est pas Treblinka ! De toute façon on en a pour dix ans à s'engueuler entre nous à propos des raisons de notre défaite. 
- On t'a pas attendu pour commencer... allez viens, j'te paie un verre au Communard, c'est mon bar préféré. 
- Parce que vous avez aussi des bars ici ? 
- Plein ! Faut que je te parle d'un projet que j'ai. Je pensais faire un fanzine marrant qu'on pourrait appeler genre Le gauchiste enchaîné. Ça te dirait d'en être ?

Tandis que nous nous installions en terrasse du Communard sous le soleil brûlant du mois de novembre, je compris l'intelligence du nouveau pouvoir qui nous laissait à disposition notre microcosme militant. Que pouvions-nous espérer de mieux à l'extérieur ? Qu'aurions-nous pu attendre d'une société qui ne nous comprenait plus ? Les Centres d'Accueil et de Protection étaient des zoos pour les derniers militants de gauche du pays. Cette analyse aurait dû me révolter mais tandis que Léandre m'offrait ses feuilles et son tabac en attendant les bières, je me sentais envahi par une paresse intellectuelle pas désagréable. Je luttais quelques instants en essayant de me rappeler mes années de luttes mais Léandre m'interrompit : 

- alors ? On est pas bien là ?
- Carrément, répondis-je.




lundi 10 novembre 2014

Dystopie anarcho-droitière 1/2

France, autour des années 2030

Nous avions été balayés en une semaine. Des fourmis s'aventurant sur une table de camping par excès de confiance, balayées d'un revers de main par un convive distrait, voilà ce que nous avions été.

Telles étaient mes pensées tandis que la voiture de police quittait la ville pour m'emmener officiellement au CAP numéro 12, les Centres d'Accueil et de Protection, novlangue pour ne pas parler de camps de prisonniers politiques. Les jeunes fonctionnaires du ministère de l'intérieur qui m'escortaient semblaient pressés de finir leur service et la voiture roulait à toute vitesse sur les routes d'une campagne déserte. L'idée me vient un instant que ce CAP n'existait pas et que j'allais bientôt finir dans une fosse, une balle dans la nuque. Curieusement cela ne me procura aucune émotion et mes pensées revinrent sur ces six derniers mois.

Le coup d’État constitutionnel nous avait pris de court. Nous savions que quelque chose allait se produire mais nous étions persuadés de disposer encore de deux ou trois ans. Le vieux président Manuel Juppé avait annoncé la dissolution du gouvernement alors que nous étions en plein congrès. Face aux contestations en tout genre, il avait franchi le rubicond et appelé comme première ministre la présidente du NPO, le Nouveau Parti de l'Ordre. Celle qu'on appelait « la Maréchal » était jusqu'alors cantonnée au Ministère de la Culture, poste inoffensif nous avait-on assuré...pourtant elle en avait fait du dégât ! Elle était aidé en cela par les conseils de sa tante. Officiellement retirée de la vie politique dans sa résidence de St Cloud, « la Matriarche » gardait une influence bien au-delà de son parti.

Nous avions aussitôt suspendu nos travaux. Quel dommage ! Notre motion était en passe d'avoir la majorité au sein de notre rassemblement, le Deuxième Front Populaire. L'unité de la gauche n'aurait été alors qu'une question de semaines et les choses se seraient passées autrement, qui sait ?

Nous étions pris de court, mais pas totalement désarmés, du moins c'est ce que nous pensions. Conformément aux simulations établies par les coordinations antifascistes, les centrales syndicales appelèrent à la grève et les organisations politiques lancèrent des appels aux rassemblements. La réponse du gouvernement et des milices du NPO fut violente mais là encore nous pensions être prêt à encaisser le choc. Cela faisait des années que nous avions constitué nos propres groupes d'autodéfenses, malheureusement ceux-ci étaient depuis longtemps infiltrés par des groupes d'extrême-droite et autres soraliens. Dès le premier jour de confrontation, ceux-ci se retournèrent contre nous. Le reste de la semaine ne fut qu'une grande partie de course-poursuite contre les opposants au nouveau pouvoir.

Tandis que les paysages de basse-montagne défilaient sous mes yeux, il me revint le souvenir d'une scène d'un vieux film du début des années 2000. Ce film s'appelait Agora et l'histoire se passait à Alexandrie au moment où l'empire romain allait se convertir au christianisme. Au début du film, les aristocrates de la ville sont encore polythéistes. Ce sont des philosophes et des libres penseurs et ils méprisent les éléments de la plèbe qui se convertissent à cette nouvelle religion qu'ils jugent absurde et malsaine. Après une ultime provocation des fanatiques chrétiens, les aristocrates décident d'en finir. Ils s'arment et arment leurs domestiques pour corriger les perturbateurs, persuadés que quelques coups de glaive réussiront là où les discours rationnels ont échoué. Une fois l'effet de surprise passé, les chrétiens se ressaisissent et les patriciens se retrouvent tétanisés par l'ampleur jusqu'alors inconnue prise par la religion chrétienne. Ce sont des milliers de convertis qui surgissent de la ville pour prêter main forte à leurs frères et les païens sont obligés de s'enfuir dans la panique.

C'est ce qui nous était arrivé. Aveuglés par la logique implacable de nos discours et la pureté de nos intentions émancipatrices, nous n'avions pas vu la transformation de la société. Le retour à la réalité fut on ne peut plus douloureux. Sans le moindre frémissement de la population, la Maréchal décréta l'état d'urgence et déclara hors-la-loi tous les opposants, accusés de « sabotage politique et économique ». Elle enclencha un processus constituant et proclama la 6ème République...mais ce n'était pas celle que l'on attendait, évidement.

Maigre consolation, ces événements contredirent les déclinistes de tout poil, nous avions désormais le régime le plus autoritaire d'Europe.

90% des cadres politiques et syndicaux furent arrêtés dès la première semaine. Cette efficacité était la preuve que le projet était organisé depuis longtemps au sein du ministère de l'intérieur. Pour ma part, je réussis à rester en cavale pendant six mois, ce qui constituait un record d'après les policiers qui m'avaient interrogé. J'avais d'abord tenté de passer à l'étranger mais devant l'impossibilité de traverser les frontières je m'étais caché dans une maison de famille. J'avais passé six mois sans sortir, à relire des livres et manger des boites de conserves. Sans parler à personne, la dépression et la schizophrénie me gagnaient. J'avais craqué il y a trois jours.

Je m'étais fabriqué un drapeau rouge et j'étais sorti dans les rues attendant que la police m'arrête. C'était un baroud d'honneur puéril, je n'avait pas défilé avec un drapeau rouge depuis mes années de fac. Paradoxalement, c'est la police qui me sauva la vie, car je manquais de me faire lyncher par les honnêtes citoyens soucieux de montrer du zèle devant les nouveaux maîtres du pays.

La voiture s'arrêta devant le portail d'une immense zone grillagée. Le CAP n'était pas une légende. L'endroit me disait même quelque chose sans que je puisse l'identifier. Je fus conduit dans les bureaux de l'administration. On m'inscrivit dans le registre du centre. On me donna des draps, des couvertures et des affaires de toilette puis on m'indiqua les coordonnées du baraquement qui serait désormais le mien. A ma grande surprise, aucun gardien ne m'accompagna. Je fus laissé seul à l'entrée du camp, libre à moi de trouver le chemin jusqu'à mon toit.

Le camp semblait immense. Tout en le traversant, une boule se nouait dans ma gorge. Je pensais au dernier livre que j'avais lu durant ma planque. Il s'agissait de Treblinka de Jean-François Steiner. Ce livre retrace les actes de résistance des détenus du camp de concentration de Treblinka qui conduisit à son soulèvement le 2 août 1943. Je m'étais arrêté au chapitre évoquant le premier acte élémentaire de résistance, celui de secourir les détenus désespérés tentant de se pendre.

A ce stade de mes pensées, je me demandais s'il existait dans ce ''centre'' des détenus encore assez combatifs pour me retenir lorsque je monterai dans quelques instants sur un tabouret avec une corde autour du cou.

Soudain, quelqu'un me tapa sur l'épaule.

À suivre...


mercredi 5 novembre 2014

La gauche explore le temps…

par Abdoul Karachi...

L’histoire racontée par les soviets : c’est très marrant !

Certains croient que la gauche est née avec la révolution d’octobre, en 1917. Détrompez-vous honnêtes cuistres ! Elle a accompagnée l’humanité depuis les temps immémoriaux de l’âge de pierre jusqu’à l’âge d’abondance. Petit retour en arrière : la gauche explore le temps…

Le feu

« Ouais super je viens d’inventer le feu !

JCR : « Alors, d’une part ça va aggraver les rapports de domination homme-femme, d’autre part je ne suis pas sûr que ça ai été discuté en réunion au préalable, enfin il faut donner des billes aux camarades de la région parisienne et des régions pour le maniement du feu dans une perspective durable d’émancipation de la classe à travers une formation régionale du secteur jeune.

Réformiste : « Oui alors nous on pense que les masses ne sont pas prêtes, il faudrait commencer par un feu plus tiède qui ne citrique pas directement la politique du gouvernement sinon ça va faire le lit de l’extrême droite »

GA* : « Je crois que pour avoir plus de feu il faut mettre plus de bois et pour avoir moins de feu il faut mettre moins de bois. »

La roue

« Ouais super j’ai inventé la roue !

JCR : « Il y’en a marre des demi-mesures ! On obtiendra la roue que si on demande l’hydroglisseur à travers une mobilisation des secteurs les plus avancés du mouvement ouvrier grâce à une grève générale interprofessionnelle qui soit victorieuse menée par les luttes de jeunesse !

Réformiste : Oui alors c’est un peu tôt pour la roue. Les masses ne sont pas prêtes et ça risque de faire le jeu de l’extrême droite.

GA : La roue c’est pratique pour déplacer des choses lourdes.

Charles Martel à Poitiers

« Ouais super on a arrêté l’invasion des sarrasins !

JCR : « Le caractère petit-bourgeois et nationaliste de cette lutte ne cadre pas avec nos principes prolétariens et internationalistes ! Derrière chaque sarrasin il y a un exploité, un prolétaire. Il faut construire une grève générale interpro qui s’appuie sur les secteurs les plus avancés de la classe ouvrière afin de dépasser le clivage sarrasin/français.

Réformiste : Il faut faire voter une loi qui interdise le port du voile sur le territoire françois et mettre en place une garde royale de proximité dans les villes populaires occupées par les sarrasins.

GA : Alors nous on aime bien les crêpes au sarrasin.

Le roi à Paris

« Le roi à Paris ! Le roi à Paris !

JCR : Oui alors c’est un mot d’ordre réformiste qui ne mènera nulle part, de toute façon ce mouvement social est bourgeois et apolitique il nous conduit dans l’impasse, on va épuiser nos forces. La priorité c’est de differ massivement sur les bahuts d’île de France, surtout dans les bahuts pros et de faire des collages pour recouvrir le Front de Robespierre qui ne propose que des solutions réformistes qui vont décourager la classe ouvrière.

Réformiste : Dans un premier temps le roi à Paris puis, si on prend la majorité au conseil des ministres, à l’assemblée constituante et au parlement européen on pourra enclencher un processus de réformes sociales.

GA : Il faut déconstruire la forme-roi.

1917 en Russie

« Tout le pouvoir aux Soviets !

JCR : Alors là d’accord sur le mot d’ordre mais en toute indépendance des sociaux-démocrates et des socialistes révolutionnaires petit-bourgeois et des anarchistes gauchistes.

Réformiste : Prenons d’abord la majorité à la Douma et transformons l’Okhrana en instrument de réforme sociale pour le plus grand nombre, même s’il faudra passer par une réforme ambitieuse des retraites qui rééquilibrera les comptes de l’Etat soviétique.

GA : Tout le pouvoir aux serviettes ! »

Paléo-gauchiste ou archéo-trotskiste ?
 Lexique :

GA : acronyme pour Gauche Anticapistaliste. Canot de sauvetage issu du NPA. A rejoint le Front de Gauche puis a participé à la création d'Ensemble-MAGES en attendant le prochain mercato politique.